Après la tentative en 2008, sous la pression
du lobby des avocats, de fondre le notariat dans une « Profession unique
du droit » devant être dominée par…les avocats, c’est aujourd’hui le tarif
des notaires qui est la cible, avec pour prétexte le niveau élevé du revenu
moyen par notaire.
Une fois de plus le souci du pouvoir d’achat
du client-consommateur est mis en avant alors que ce souci ne semble pas avoir
prévalu lors de la récente augmentation des droits fiscaux pour les mutations
immobilières.
Les élus de l’UNION POUR LA CRPCEN ne vont pas plaindre
les notaires qui viennent de refuser à leurs salariés toute augmentation des
salaires pour 2014, mais ils savent par expérience que lorsque le chiffre
d’affaires du notariat stagne ou diminue (par exemple, lors des crises
immobilières) les salariés sont utilisés comme variable d’ajustement pour
permettre aux notaires de maintenir leur niveau de revenus nets.
C’est ainsi que lors de la crise de 2008, 12,9 % des emplois (soit 6.648) ont été supprimés.
Aucun média n’en a parlé car les salariés du
notariat sont répartis dans une majorité de TPE, et 2 ou 3 suppressions
d’emplois dans une entreprise d’une dizaine de personnes n’attirent pas
l’attention.
A fin 2012 et à la faveur d’une reprise, le
notariat avait retrouvé et même dépassé son niveau record de chiffre d’affaires
d’avant la crise, mais sans que soit retrouvé le niveau de l’effectif des
salariés (il en manque toujours 3.500). Les salariés sont donc sous pression
dans les offices et il leur est demandé des efforts conséquents,
« récompensés » par un refus d’augmentation générale des salaires.
Le projet de réforme du tarif des notaires,
sous couvert de « rapprocher les tarifs des coûts réels des actes »
suscite beaucoup de crainte chez les représentants des salariés dans la mesure
où le souci premier semble l’affichage d’une mesure « politique » au
mépris de la prise en compte des vrais problèmes et des conséquences sur les
emplois, les salaires et le financement de la couverture sociale des salariés.
L’objet du présent document est,
conséquemment, de poser les vrais problèmes et de proposer des solutions
adaptées.
► RAPPELS DES FONDEMENTS
DU NOTARIAT
Le notariat, profession séculaire dont le
statut a été rénové en 1945, assure une mission de service public. En effet le
notaire, officier public, est investi d’une mission légale pour laquelle la Puissance Publique
lui délègue une partie de son autorité. Et il confère l’authenticité aux actes
qu’il reçoit.
Plus qu’une profession, c’est une institution
au cœur de la vie des citoyens, dans leur intérêt et à leur service, par
l’apport de conseils et par la sécurité juridique des contrats.
Ce service public est assuré par plus de
9.000 notaires répartis dans environ 4.500 offices, mais aussi par presque
48.000 salariés de ces offices.
A cet égard, il est intéressant de citer le
rapporteur ANTONELLI dans les débats parlementaires en vue de la loi du 12
juillet 1937 instaurant la
CRPCEN , régime spécial de sécurité sociale et de retraite des
salariés du notariat :
« Les
notaires sont des fonctionnaires publics jouissant d’un statut particulier. Ils
profitent d’un monopole assorti d’avantages inhérents à la profession. Mais les
clercs, leurs employés, sont astreints aux mêmes règles sévères sans avoir
aucun des avantages qui en constituent la contre partie (…) Et cependant ils
apportent un large tribut au fonctionnement du service public dont ils
dépendent (…) En dotant les clercs de notaires et les employés des études
des œuvres d’assurance et de prévoyance qu’ils réclament à juste titre (…) vous
faciliterez le recrutement (…) et vous contribuerez au perfectionnement de
l’organisme tout entier, dans l’intérêt du bien public ».
C’est d’ailleurs cet « intérêt du bien
public », auquel contribue la
CRPCEN , qui a motivé le financement partiel de ce régime par
une cotisation à la charge du client assise sur les émoluments et honoraires
des notaires.
Une réforme du tarif entraînant une baisse de
ces émoluments et honoraires affecterait donc directement l’équilibre financier
de la CRPCEN.
► UN
STATUT, UN MONOPOLE, UN TARIF
Le statut du notariat comporte des structures
d’exercice autonomes implantées, tant par leur nombre que par leur
localisation, dans le cadre d’un « numerus clausus » pour couvrir au
mieux les besoins des citoyens.
Pour un certain nombre de domaines (et
notamment celui des mutations immobilières) le notaire bénéficie d’un monopole
qui va de pair avec l’authenticité conférée aux actes. Ce recours obligatoire
au notaire, souvent faussement présenté comme un privilège, a historiquement
été imposé dans un souci de sécurité juridique et de protection du citoyen, ainsi
qu’en considération du fait que le notaire, officier public, est délégataire
d’une partie de l’autorité de l’Etat.
Pour les actes qu’il reçoit (plus
particulièrement ceux relevant du monopole) le notaire est rémunéré dans le
cadre d’un tarif réglementé, fixé par décret.
Ce tarif réglementé va de pair avec le
service public assuré, en permettant un traitement égalitaire des citoyens.
Ceux-ci n’ayant pas tous la même capacité à défendre leurs intérêts, le tarif
réglementé est protecteur des personnes les plus faibles.
Pour l’intersyndicale, le maintien d’un tarif
réglementé est donc d’une absolue nécessité.
► LE
TARIF EST-IL « TROP GÉNÉREUX » ?
Se basant sur une étude chiffrant à 19.000 €
le revenu mensuel moyen d’un notaire, les défenseurs d’une réforme estiment ce
montant excessif, au nom de la « défense du pouvoir d’achat » des
Français, notamment « les plus faibles ».
Cette analyse apparait trop simpliste et
teintée de dogmatisme dans un souci d’affichage d’une volonté de défense des
citoyens les plus faibles. Il est à craindre que ce dogmatisme ait conduit à ne
pas prendre en compte toutes les données du problème, et en particulier les
obligations liées à la mission de service public.
L’intersyndicale formule donc un certain
nombre d’objections.
► LES OBJECTIONS DES ELUS
DE L’UNION POUR LA CRPCEN
1 – La notion de « revenu
moyen» est inadaptée
Une moyenne cache d’énormes disparités et ne
permet pas d’apprécier correctement une situation.
Le tarif en pourcentage des valeurs exprimées
peut générer des revenus élevés pour les notaires implantés dans des villes ou
régions riches et traitant des opérations à forte valeur.
A l’inverse, dans des secteurs moins
favorisés où les opérations sur des faibles capitaux sont courantes, le tarif
peut générer des honoraires couvrant à peine le prix de revient de l’acte.
2 – La référence au
pouvoir d’achat est inopportune
Le pouvoir d’achat s’apprécie par rapport au
coût des produits de consommation courant des ménages, et non par le coût
d’opérations (souvent d’investissements) nécessitant le recours à un notaire,
qu’une personne ne réalise que très peu de fois dans sa vie.
Ceux qui réalisent fréquemment cette dernière
catégorie d’opérations ont généralement un niveau de fortune conséquent et leur
pouvoir d’achat en tant que tel n’est pas affecté.
Le même argument peut être opposé pour les
affaires donnant lieu à des honoraires élevés car elles portent sur des
capitaux importants.
3 – Les « personnes
les plus faibles » ne sont pas concernées
On peut le regretter, mais c’est une
réalité : les personnes aux plus faibles revenus n’ont pas les moyens de
réaliser des investissements nécessitant le recours à un notaire.
Les opérations qu’elles peuvent avoir à faire
sont rarement des opérations capitalistiques, et les honoraires sont alors sous
forme de forfaits.
Il est donc tout à fait inopportun de mettre
en avant ces personnes pour justifier une réforme du tarif des notaires.
4 – Les effets pervers
d’un tarif par référence aux « coûts réels »
Si le tarif en pourcentage des capitaux
exprimés peut conduire à des honoraires élevés en cas de capitaux importants
(malgré la clause de plafonnement existante), a contrario il donnera des
honoraires peu élevés sur les « petites affaires ». Il est même des
actes dont le coût de revient n’est pas couvert par l’honoraire du notaire.
Ceci est rendu possible par une péréquation
entre petits et gros actes. Mais dans un contexte où l’honoraire aurait une
base forfaitaire liée au coût de l’acte, cette péréquation n’existerait plus,
et il serait alors nécessaire de relever sensiblement les honoraires des petits
actes.
A défaut, la notion même de service public
serait en danger. Comment, en effet, assumer l’obligation d’instrumenter,
fondement du service public, si l’absence de péréquation conduit le notaire à
travailler à perte.
Paradoxalement, ce système ne serait
avantageux que pour les clients fortunés
réalisant des actes portant sur des capitaux importants qui verraient
baisser leurs coûts.
5 – impact négatif sur la
qualité du service
Une baisse globale des revenus des notaires,
non seulement ne diminuerait pas le coût des petits actes et, au contraire, les
augmenterait dès lors que le tarif ne serait plus redistributif, mais
conduirait ceux des notaires touchés par une baisse de leurs revenus, à
compenser ce manque à gagner par une diminution de leurs coûts de production,
et en premier lieu les salaires de leurs personnels.
Ce phénomène, systématiquement constaté, se
traduit :
- par des suppressions d’emplois, avec une
pression forte sur le personnel.
- ou par des réductions du temps de travail,
avec la même conséquence.
- et/ou par des recrutements à bas salaires
conduisant à faire effectuer le travail par du personnel sous-qualifié (du
personnel de secrétariat sera, par exemple, affecté à des tâches nécessitant
des connaissances juridiques).
Le tout ayant pour conséquence une diminution
de la qualité du service public assuré et une diminution de la sécurité
juridique du client, la « productivité » prenant le pas sur l’analyse
juridique.
Au final, la réforme n’aura été d’aucun effet
positif pour les clients les plus modestes et n’aura, en termes de coûts,
avantagé que les plus fortunés avec, pour tous les clients, des conséquences
négatives sur la qualité du service rendu.
6 – Impact sur la
couverture sociale des salariés du notariat
On a vu plus haut, en évoquant les travaux
parlementaires en vue de la loi du 12 juillet 1937 qui a créé le régime spécial
de prévoyance et de retraite des salariés du notariat, que ce régime a
contribué par son attractivité à l’amélioration du recrutement des offices
notariaux avec pour conséquence une amélioration de la qualité du service
public assuré.
Cela a conduit le législateur à faire
contribuer le client, bénéficiaire de cette qualité, au financement dudit
régime.
C’est ainsi que ce régime perçoit une
cotisation de 4 % assise sur le chiffre d’affaires total du notariat,
représentant en 2013 plus de 25 % de ses encaissements de cotisations.
C’est cette cotisation, due à la clairvoyance
des fondateurs du régime, qui a permis de faire face à la dégradation du
rapport démographique de ce régime, lequel s’équilibre de manière autofinancée,
sans aucune aide de l’Etat.
Outre les effets négatifs sur la masse
salariale de la réforme envisagée, et donc sur les cotisations assises sur les
salaires, cette réforme, en diminuant la masse des émoluments et honoraires,
diminuerait mécaniquement la partie importante des ressources provenant de la
cotisation assise sur le chiffre d’affaires.
Cette « double peine » serait
probablement fatale au régime dont l’équilibre financier reste fragile.
Et on sait qu’en cas de disparition de ce
régime, l’accueil des salariés et retraités du notariat dans les régimes de
droit commun (régime général et régimes complémentaires obligatoires) se
traduirait par une charge financière pour ces régimes qui ne bénéficieraient
que de leurs cotisations sur salaires.
Donc, du strict point de vue de l’intérêt
général, l’opération ne serait que négative.
D’autant que, dans ce cas de figure,
l’éventualité de droits d’entrée à la charge du notariat, auquel on aurait
imposé une baisse de son chiffre d’affaires, serait rendue très hypothétique.
7 – Le tarif des
notaires n’est pas excessif
Pour une acquisition immobilière de 200.000
€, le tarif génère un émolument proportionnel (pourcentage dégressif sur le
prix) de 2.061 € HT.
Si le capital exprimé n’est que de 60.000 €
(petite affaire), l’émolument est de 906 € HT.
Sachant que l’honoraire doit permettre
d’assurer les salaires d’un personnel qualifié et le financement de sa
couverture sociale, et de contribuer à sa formation, il n’est pas établi que les
coûts soient excessifs.
Pour mémoire, rappelons que la commission
d’un agent immobilier pour une mutation de 200.000 € est de l’ordre de 10.000 €
HT, et ne fait pas intervenir, tant en nombre qu’en qualité, le personnel
nécessité par l’acte notarié qui, seul, assure la sécurité juridique.
Cette situation ne semble émouvoir personne.
Si des économies sont à réaliser pour le
client, sans doute sont-elles à rechercher ailleurs que par une réforme du
tarif des notaires.
Et le gouvernement aurait pu satisfaire à ce
souci en commençant par ne pas augmenter les droits de mutation.
► PROPOSITIONS DES ELUS DE
L’UNION POUR LA CRPCEN
Dès lors que la réforme du tarif des notaires
par rapprochement avec les coûts aurait surtout un effet d’affichage sur les
plus hauts revenus, mais avec les effets pervers ci-dessus décrits la rendant
sans avantage réel pour les clients les moins fortunés présentés comme cible
bénéficiaire de la réforme, l’intersyndicale est favorable à une péréquation de
solidarité entre offices notariaux favorisés et les autres.
Dans ce cadre, il est proposé que soit mise
en œuvre l’une des mesures préconisées par le rapport de la Commission pour la
libération de la croissance française (dit rapport ATTALI) :
« Créer, pour assurer une présence
homogène des notaires sur le territoire, condition de l’égal accès au droit,
une taxe touchant les offices réalisant un nombre d’actes supérieur à la
moyenne. Cette taxe alimentera un fonds destiné à subventionner les notaires
installés dans des zones moins rémunératrices ».
A ceci près que, pour l’intersyndicale, le
critère de la péréquation ne doit pas être le nombre d’actes réalisé dans
l’office, mais le chiffre d’affaires généré par ces actes.
Les avantages sont
nombreux, notamment :
- rééquilibrage entre les offices des régions
favorisées et les autres, permettant de maintenir un maillage juridique, et
donc un service public du droit, sur tout le territoire.
- absence des effets pervers, ci-dessus
décrits, d’une réforme tarifaire à la baisse qui n’avantagerait finalement pas
les clients censés en bénéficier.
- pas d’effet négatif sur l’emploi ni la
qualité du service public.
- absence de mise en péril du régime assurant
la couverture sociale des salariés du notariat (CRPCEN), et donc de prise en
charge de ses déséquilibres financiers par les régimes de droit commun.
Cette
mesure forte de solidarité, s’inscrivant dans le cadre d’un tarif assis sur les
capitaux exprimés devrait s’accompagner :
1 – d’un engagement fort du notariat (dans
des formes à définir) pour le maintien de l’emploi et d’un statut social de
haut niveau des salariés (salaires, couverture sociale par la CRPCEN ), éléments majeurs
garantissant la qualité du service public notarial.
S’agissant précisément du financement de la
couverture sociale, dès lors que le Gouvernement acte un niveau élevé des
revenus des notaires, et puisque ceux-ci sont peu soumis à la concurrence du
fait de leur monopole, une exonération de cotisations dans le cadre du futur
pacte de responsabilité gouvernemental doit
avoir pour contre partie l’obligation d’assurer le financement de la CRPCEN qui a besoin de
ressources complémentaires.
2 – d’un contrôle strict de l’Etat, tuteur du
notariat délégataire d’une partie de la Puissance Publique ,
quant au respect de cet engagement, avec sanctions en cas de manquement.
Dans l’hypothèse de la
réalisation de la réforme
Si le Gouvernement entend malgré tout
réaliser la réforme envisagée, il devra prendre en compte, dans la fixation des
tarifs, la nécessité de maintenir l’emploi, d’assurer les salaires, et de
financer la couverture sociale des salariés à travers la CRPCEN.
Sur ce dernier point, les élus de l’UNION
POUR LA CRPCEN
rappellent la demande de ressources nouvelles pour le régime par le moyen de la
cotisation sur les émoluments et honoraires (qu’il y ait ou non réforme).
Et la réforme devra s’accompagner du strict
contrôle de l’Etat sur les trois points précités.
CONCLUSION SYNTHÉTIQUE
Les
élus de l’UNION POUR LA CRPCEN
concluent à la nécessité d’éviter une réforme du tarif des notaires conduisant
à des effets pervers à l’encontre des clients les plus modestes, et à avantager
les clients les plus fortunés.
Et ils
demandent au Gouvernement, comme contre partie à des revenus maintenus,
l’imposition aux notaires de mesures fortes :
1 –
Pour le maintien de l’emploi, facteur de
qualité du service public.
2 –
Pour une politique dynamique des salaires, favorisant le recrutement des
compétences et
donc également la qualité du service
public.
3 –
Pour le financement équilibré de la couverture sociale des salariés (CRPCEN),
pour garantir
l’avenir du régime et éviter sa
disparition qui conduirait à mettre ses déficits structurels à la
charge de tous les Français via les
régimes de droit commun.
A
cet égard, les élus de l’UNION POUR LA CRPCEN demandent notamment que soient créées
au profit de la CRPCEN , par la cotisation
sur émoluments et honoraires, les ressources
nécessaires à l’équilibre financier du régime.
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